Jacques Solletty
L'indétermination comme champ esthétique
L'article consacré au mot Indécision par Etienne Souriau dans son Dictionnaire d'esthétique (1) est sans doute le plus court de cet énorme livre. En quatre lignes, le propos est plié : « est indécis celui qui hésite et n'a pas pris de décision nette ; cela peut être le cas de l'artiste dans son atelier ». Ou alors, au sens figuré, « est indécis ce qui n'est pas nettement déterminé : un contour indécis, une lumière indécise ».
On le sent bien, l'article est court car son contenu est négatif. Rien de bon ne peut sortir de cette indécision, qui semble s'imposer d'un bloc, sans pouvoir être convertie en affirmation, en énergie ou en nuance. Mais cela reste tout de même une notion d'esthétique, en attendant qu'un créateur s'en serve à rebours de tous les autres. C'est à cette activité paradoxale qu'a décidé de s'attaquer Jacques Solletty. Pourtant, dans ses photos (mais il faudra revenir sur ce mot), c'est la nature elle-même qui est indécise. Bien entendu, lui-même semble ne pas choisir. Ou plutôt, il aura tendance à privilégier le moment où la nature lui offre un non-choix. On a tous vécu ses moments de crépuscule où la lumière n'est pas assez haute pour qu'il fasse jour, et pas assez basse pour que tombe la nuit. C'est ce type d'atmosphère qu'il privilégiera, sachant bien que l'appareil photographique, contrairement au cerveau toujours en train de rectifier les visions qu'il juge erronées, restituera sans barguigner les leurres colorés et les impossibilités visuelles telles qu'elles paraissent être.
Le parti pris de ne rien montrer ou si peu est tel que l'image reste quasiment vierge d'indices, suffisamment pour repérer un quelconque objet minuscule ou presque illisible, mais encore identifiable. Mais aussi suffisamment pour ne rien percevoir d'autre qu'un champ de couleur, un brouillard sensible ou une plage atmosphérique. Ne pas percevoir qu'il s'agit encore une photographie pourrait être le summum de l'aspiration de Jacques Solletty. Car ce ne sont pas des paysages ou des marines qu'il capte, ce sont des perceptions picturales que la photo engrange, faute d'un moyen autre, proche du pinceau ou de la brosse. L'épaisseur de cette frontière qui sépare genres et techniques, et que tant d'artistes voudraient transgresser, est la matière même de l'indécision productive (ainsi qu'on le dit aujourd'hui).
François Bazzoli
Note (1)
Dictionnaire d'esthétique, Presse Universitaire de France, 1990.
Texte rédigé pour l'exposition "Perceptions" - [Espace Provisoire] La Maison Bleue, Mirabeau, du 7 au 22 juin 2014.